Les rayonnages d'une librairie.

Les rayonnages des librairies sont encombrés par l’offre éditoriale pléthorique.

Voici un livre qui est vendu sur la longue durée et de façon massive, dans tous les cercles de distribution. Voici un livre dont la critique s’est fait le relai, un livre qui plus est plébiscité par le public – son succès en librairie en est une preuve manifeste. Voici un livre qui exemplifie à merveille la réussite des logiques marketing dans le monde des industries culturelles. Voici : un mega-long-seller !

Pour donner à un simple ouvrage de littérature la chance de devenir un mega-long-seller, il vous faut associer les bons éléments. Prenez une figure auctoriale charismatique, ou alors une œuvre confidentielle, selon le public que vous voulez régaler. Ajoutez-y un paquet de publicités délicates dans les médias les plus visibles et saupoudrez d’un peu de bon sens commercial. Émulsionnez par-dessus des critiques dithyrambiques de connaisseurs, via les journaux ou émissions culturels de premier plan, avec un bouche à oreille populaire maîtrisé (prenez garde à la qualité des médiateurs culturels, la saveur de votre plat dépend d’eux !). Versez le mélange obtenu dans les bons circuits de distribution, puis laissez-le prendre au réfrigérateur. Conseil : vous pouvez également ajouter une sélection pour un prix littéraire prestigieux, la recette n’en sera que plus réussie ! Mise en garde : vous ne pouvez vous passer d’aucun des ingrédients indiqués, mais la recette n’est pas infaillible : mega-long-seller il y aura si le public goûte à votre friandise et la déguste sans se lasser !

La particularité du mega-long-seller est qu’il est un hybride éditorial tout récent, au croisement du best et du long-seller. Le best-seller est périssable : pendant environ trois mois, on ne parle que de lui et sa vente massive permet à son éditeur d’écouler de 300 000 à 400 000 exemplaires. Marc Lévy ou Michel Houellebecq se vendent selon ce principe. À l’inverse, le long-seller est un coureur de fond : il s’infiltre progressivement dans le monde des succès éditoriaux, sur quelques trois ans. Le plus bel exemple de ce genre est l’ouvrage de Muriel Barbery, L’Élégance du hérisson. Le mega-long-seller combine quant à lui les courbes de vente de ses deux grands frères : son plébiscite massif et immédiat est prolongé par une rencontre toujours renouvelée avec son public ; il s’agit par exemple des livres d’Anna Gavalda ou du Da Vinci Code de Dan Brown.

Le Da Vinci Code de Dan Brown

Le Da Vinci Code est traduit en 44 langues et s’est vendu à 40 millions d’exemplaires en 2006.

Ne nous y trompons pas, les ventes en librairie de ces ouvrages ne sont pas proportionnelles à leur qualité. En vérité, submergé par une offre pléthorique, le lectorat s’oriente d’emblée vers des titres « sûrs », autrement dit ceux qui font parler d’eux : une critique bien placée dans Le Monde ou Les Inrockuptibles fait office de sésame. En réalité, les relais culturels se concentrent toujours dans les mêmes médias, de sorte que les lecteurs se retrouvent influencés par les mêmes journaux, magazines ou émissions. Le vote populaire, soi-disant à l’origine de succès inattendus, n’a en vérité pas voix au chapitre : c’est le service marketing des grandes maisons d’édition qui tire les ficelles, à la faveur d’un réseau communicationnel particulièrement dense.

Ce phénomène commercial n’est pas réservé à la seule édition. Celle-ci est bien plutôt le petit Poucet en la matière, puisque ce sont les industries de la musique et du cinéma qui la devancent, ainsi que, dans un domaine plus pointu, les jeux vidéo. Les industries culturelles pratiquent la technique de l’offre saturante. L’incertitude quant aux succès de leurs projets les conduit à traiter les livres, films ou albums comme de quelconques produits, et à multiplier les productions, dans l’espoir qu’un titan naîtra de ce chaos.