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Avec son deuxième recueil de nouvelles à l’écriture poétique et travaillée, l’américain Anthony Doerr nous fait voyager dans l’espace et le temps. Il se distingue ici comme l’un des grands nouvellistes contemporains.

 

Le Mur de mémoire. Voilà un très beau titre pour un très beau recueil de nouvelles sorti il y a tout juste trois mois dans la collection « Terres d’Amérique » dirigée par Francis Geffard aux éditions Albin Michel. Anthony Doerr signe-là son deuxième recueil de nouvelles après Le nom des coquillages paru en 2003 chez le même éditeur. Né dans à Cleveland en 1973 et professeur pour le Master des beaux-arts à Warren Wilson College en Caroline du Nord, notre auteur outre-Atlantique s’est aussi essayé au genre du roman : A propos de Grâce est paru en 2006. Qu’il s’agisse de romans ou de nouvelles, une chose est sûre : les textes d’Anthony Doerr valent le détour !

Le Mur de mémoire a d’ailleurs été chaleureusement récompensé. Il s’est vu couronné par le célèbre Story Prize, meilleur prix que peut recevoir un écrivain pour un recueil de nouvelles ainsi que par Sunday Times Short Story Award, prix le plus prestigieux pour une nouvelle. La collection « Terres d’Amérique » qui recense des auteurs incontournables comme Louise ErdrichDinaw Mengestu ou encore Donald Ray Pollock, a incontestablement une plume de plus à son chapeau.

 

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Comme l’indique le titre, c’est le phénomène de la mémoire qui constitue le fil rouge de ces six nouvelles.

Long d’environ trois cents pages, Le Mur de mémoire comporte six nouvelles. Chacune se situe à un endroit différent du globe. Anthony Doerr nous fait voyager, nous transportant tantôt en Afrique du Sud, tantôt en Lituanie, tantôt en Corée. Voyage dans l’espace mais aussi dans le temps dans la mesure où le IIIème Reich et les années d’après-guerre apparaissent. Mais l’originalité réside dans le fait que ces époques révolues sont évoquées uniquement à travers la mémoire des protagonistes qu’il met en scène et ne font pas l’objet d’une reconstitution historique par l’auteur.

Pour Anthony Doerr, c’est notre vécu qui nous hisse au rang d’êtres humains et fait de nous des personnes à part entière, toutes distinctes les unes des autres. « C’est à la mémoire que l’on doit tout ce qui nous caractérise », note-t-il.

 

Dans le vif du recueil

Dans chacune de ses nouvelles, Anthony Doerr peint le déchirement, le manque, la blessure. A chacun de ses héros, il semble manquer quelque chose de vital et c’est avec force qu’il décrit leur souffrance.

Dans « Engendrer, créer », il met en scène un couple du Wyoming confronté à l’infertilité. C’est désespérément et inlassablement qu’Imogene et Herb tentent d’avoir un enfant. Dans « La Nemusas », Anthony Doerr choisit comme héroïne Allison, une jeune orpheline de quinze ans. Après la mort brutale de ses parents, elle doit quitter son Kansas natal pour aller vivre chez son grand-père en terre inconnue : la Lituanie. Elle n’y emporte rien de plus que ses souvenirs et son petit chien. Là-bas, elle se lie d’amitié avec une vieille dame, Madame Sabo, qui lui apprend à vivre avec « La grande tristesse ». Ensemble, elles vont naviguer sur les eaux calmes du fleuve Nemusas, dans lequel dort un mystérieux et énorme esturgeon qui a l’air d’avoir « cinquante mille ans ». Extrêmement métaphorique, c’est surtout la plume d’Anthony Doerr qu’il faut saluer. L’écriture est fluide, poétique, imagée. La très courte nouvelle « La Zone démilitarisée » s’apparente d’ailleurs quasiment à de la prose poétique. Elle correspond à des lettres qu’un jeune homme, soldat américain en Corée, écrit à ses parents. A l’appui ces quelques lignes: « Papa les oiseaux -. Aigles de mer. Canards comme des colverts, mais plus beaux. Aigrettes, mais pas comme les nôtres – plus grandes, plus sauvages. Je les observe au télescope et elles ont l’air sale et dépenaillé, telles des reines déchues ».

 

Un soupçon de science fiction, une pincée de roman policier

La mémoire occupant une place primordiale, les deux plus longues nouvelles du recueil – la première et la dernière – mettent en scène deux vieilles femmes, proches de la mort, qui voient leur vie entière défiler devant elles. La première – qui porte le titre du recueil – s’apparente quasiment à un court roman puisqu’elle dépasse les cent pages. On y suit Alma, 74 ans, qui vit à Cape Town en Afrique du Sud. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle passe ses journées à se remémorer de lointains souvenirs : la rencontre avec son mari Harold, leur agence immobilière, leurs escapades, etc. Pour l’instant rien d’anormal. Seulement, Alma ne se souvient pas de ces moments : elle les visionne sur des cartouches, des capsules mémorielles sur lesquelles sont enregistrées ses souvenirs. A la science-fiction, l’écrivain ajoute à cette première nouvelle grandiose une intrigue policière. En effet, ces capsules mémorielles font l’objet d’un trafic dans le mesure où elles contiennent un indice très convoité : la localisation d’un fossile onéreux dont seule Alma connaît l’emplacement. La nouvelle qui clôt Le Mur de mémoire intitulée « Vie posthume » illustre à merveille l’importance déterminante de la mémoire dans la formation de l’individu. Ester Gramm, une femme âgée d’origine juive et sujette à de violentes crises d’épilepsie, est hantée par ses souvenirs d’enfance et par le sentiment de culpabilité. Petite, durant la seconde guerre mondiale alors que l’antisémitisme faisait rage et que les persécutions envers les juifs étaient de plus en plus virulentes, elle vivait dans un orphelinat à Hambourg. Le destin l’a hasardement épargnée, alors qu’il n’a pas fait de même pour ses jeunes camarades.

Bref, vous l’aurez compris. Le Mur de mémoire est un recueil de textes intenses à l’écriture cristalline et poétique qui nous fait voyager dans l’espace et dans le temps. Anthony Doerr aborde le phénomène complexe et passionnant qu’est la mémoire. Un vrai éloge à la vie.

 

Ce qu’en disent les bloggeurs :

 Des mots et des notes : « Anthony Doerr est un grand monsieur de la nouvelle, non seulement virtuose du genre, mais aussi capable de se glisser dans la tête, dans les rêves, dans les déceptions, dans les obsessions de différentes personnes, dans la mémoire atavique ou la mémoire individuelle, avec une plume intelligente et poétique ».

La vie est belle : « J’aime ce livre de nouvelles écrit d’une plume délicate et mystérieuse. Un style à part entière. (…) Superbe et sensible ».

 Moi, Clara et les mots : « Un recueil riche, dense et travaillé ! ».