Dans électeur, il y a lecteur… Parmi les élections dont on nous parle tant, il y a celle du Prix du livre Inter (dont on nous parle moins). Ils étaient plus de 4000 candidats à postuler pour figurer dans le juré. Dans « Comme on nous parle » Pascale Clark annonçait le 2 avril les 24 heureux élus, 12 hommes et 12 femmes, recrutés sur des lettres de motivation en respectant la parité et la répartition géographique. Grâce à eux, et sous la présidence d’Amélie Nothomb, un livre pourra dès le 5 juin se pavaner dans un beau bandeau rouge tape à l’œil.

Les prix des lecteurs sont de plus en plus nombreux ; le prix des lectrices de Elle, le Grand prix RTL-Lire, le prix du roman Version Femina… Parmi eux, le Prix du livre Inter est considéré comme le plus important, en termes symboliques et commerciaux. Ce prix a été créé en 1975 par Paul-Louis Mignon pour concrétiser une idée : « donner sa chance à un livre en dehors de toute contingence ». Comprendre : donner sa chance à un livre en dehors de la pression des éditeurs et de leurs attachés de presse, donner sa chance à un livre en dehors de la rentrée littéraire, des sacro saints prix Goncourt et Renaudot. Un prix populaire, attribué par et pour les lecteurs.

lectrice agora

Pour France Inter, qui est une radio de service public, le prix met en avant la compétence littéraire des lecteurs et lectrices envers et surtout contre la critique professionnelle ; c’est un pacte de confiance qui s’établit : l’expert accepte de ne plus être seul maître, mais, en complicité avec les auditeurs, la radio bénéficie d’une aura de liberté. France Inter partage avec ses auditeurs, dans ses programmes, le goût du livre ; mais ici, pour une fois, c’est l’auditeur qui choisit.

France Inter veut représenter l’expérience du consommateur, mettre en scène une politisation symbolique et démocratique de l’expérience littéraire : si les jurés s’engagent dans la publicité culturelle, c’est à partir de leur expérience personnelle et affective, à laquelle ils intègrent les attentes et les exigences d’autres consommateurs pour lesquels ils se font les porte-parole. Le prix Inter rend visible l’effort personnel de l’amateur pour conseiller ses semblables, en souhaitant rendre les lecteurs autonomes par rapport à la publicité commerciale et à la critique professionnelle. Lire, élire, débattre dans les médias, être libre… La lecture serait ainsi donc une vertu publique ? Lire engagerait notre responsabilité ?

Et si lire était un plaisir ? un vice privé ? un acte de désobéissance civile ? une expérience de liberté scandaleusement égoïste ? On lit aussi en tête à tête avec un bouquin … Que les 376 prétendants (et quelques) non sélectionnés se rassurent : ils sont autorisés à poursuivre leurs lectures, et à ajouter des titres à leurs CV.

Bref, les jurés délibéreront le 3 juin, et le 4 juin, libre à vous d’aller faire un tour en librairie pour rencontrer l’heureux sélectionné.