Le 22 février dernier avait eu lieu la masterclass « Débats sur l’Europe », présentée par Joanna Nowicki, à l’Académie polonaise des sciences.

  À l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance de la Pologne (novembre 1918), l’Académie veut cette année allier France et Pologne pour partager idées et recherches scientifiques. Le thème de la masterclass, animée par un groupe de spécialistes en histoire, sciences humaines, sciences de la communication ou encore littératures politiques, se voulait porteur d’une réflexion sur ce qu’est l’Europe et ce qui la compose.

L’Europe, d’hier à aujourd’hui

L’Europe au centre de cette conférence est celle qui s’est construite après le traité de Maastricht (1992), qui a amorcé une période de grands bouleversements. Rappelons qu’auparavant, l’Europe scindée en deux présentait deux mentalités – à l’Ouest, une absence de préoccupation pour les pays de l’Est ; à l’Est, une dichotomie entre communisme (« survivre ») et nationalisme (« vivre »). Selon le sociologue Dominique Wolton, il n’y a pas eu d’ordre pour construire l’Europe. Dans la même idée, on admet que chaque pays d’Europe a une histoire de l’Europe. Dans Histoire de la conscience européenne, Antoine Arjakovsky et une trentaine de confrères historiens issus de plus de quinze pays d’Europe ont tenté de faire se rencontrer l’identité et l’altérité à travers trois connecteurs : la traduction, les regards croisés et le pardon. Autour de la notion de « conscience », l’ouvrage constitue une histoire participative de l’Europe, ouverte aux 500 millions de citoyens européens. Mais qui sont ces « citoyens » ? C’est la question alors étudiée, à travers le prisme des phénomènes migratoires. Joseph Krulic, magistrat au sein de la Cour nationale de droit d’asile, fait la différence entre exilés, migrants et réfugiés, présentant un rapide aperçu de la situation actuelle et des critères de sélection des dossiers de demande d’asile (environ 30 % des 100 000 demandes annuelles sont acceptées). Alors qu’on ne peut parler d’Europe sans parler de cette question brûlante, Dominique Wolton souligne le mécanisme de solidarité interne de l’Union Européenne, selon lui rarement mis en avant. Les mobilités, l’étude approfondie des stéréotypes culturels permettent de comprendre les flux et les clichés. Le stéréotype est inévitable dans une Union aux racines chrétiennes, juives, musulmanes, francs-maçonnistes et socialistes ; il serait en outre consubstantiel à la relation à l’autre : on ne peut s’en passer car il permet la communication.
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Les intervenants de la masterclass « Débats sur l’Europe ».

L’Europe, les défis à relever et les enjeux

L’hypocrisie européenne serait toutefois un frein à la communication. L’historien Gilles Rouet avance que l’Europe est une fédération qui n’assume pas ce titre. Il existerait aussi une forme de condescendance, qu’il s’agirait de détruire pour surmonter l’incompréhension Est/Ouest. Cette abolition passerait-elle par la discussion européenne ? C’est la thèse privilégiée par Joanna Nowicki, directrice du Master IEC. Mais la communication peut aussi être un enjeu qui bloque la réalité (pour exemple, les intervenants évoquent le cas des cartes géographiques européennes, qui ne reflètent pas le réel : il s’agit plus de communication que de géographie). Luciana Radut-Gaghi, maître de conférences en sciences de l’information, ajoute que la communication peut également être biaisée par une orientation des médias, voire des pays. Son ouvrage L’Europe dans les médias en ligne a pour ambition de proposer une méthode d’analyse du discours des médias en ligne. Une sélection a dû être effectuée (on a choisi Respublica pour la Pologne, Le Monde et Le Figaro pour la France). La problématique centrale : y a-t-il une seule réalité européenne, et une seule manière de la traiter ? L’enjeu est de déterminer si les médias parlent des mêmes informations. Selon les pays, le thème de l’Europe peut être économique (Italie), intellectualisé (Pologne) ou informatif (Bulgarie). Les habitants et lecteurs de différents pays reçoivent des informations et une communication différentes, ce qui, à terme, influe notamment sur leurs votes. Joanna Nowicki présente alors Rêves d’Europe, dans lequel elle identifie le double imaginaire de l’Europe comme son problème actuel : ces deux imaginaires, le religieux et le culturel, se télescopent et empêchent une narration européenne.
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Le public de la masterclass : une salle comble pour un thème qui enflamme les esprits.

Préconisations pour l’Europe : une communauté qui communique

S’ensuit un débat sur la mobilité intra-européenne, qui ne fait actuellement toujours pas l’objet d’analyses – selon Gilles Rouet, il serait pourtant nécessaire d’établir des statistiques sur la mobilité en Europe (individus qui vivent et travaillent dans des pays différents) dans le cadre de ce phénomène d’actualité qu’est le vivre-ensemble. Axel Boursier, doctorant en sciences de l’information, précise que l’identité européenne se crée par la négociation : il s’agirait de redéfinir qui l’on est pour être admis en tant qu’Européen. Suivant cette problématique, Françoise Mélonio, spécialisée en littérature politique du XIXe siècle, évoque le poids des imaginaires (politiques comme littéraires), la polyphonie centrale dans ce projet d’« autre Europe » (la partie entre l’Europe orientale et occidentale) et la « philofrancophonie », soit passer par la langue des autres pour exprimer autre chose. Les intervenants s’accordent sur l’objectif qui est de parvenir à une universalité passant par le maintien d’une différence. La question des étudiants européens, enfin, est abordée : pour leur donner un sentiment de solidarité européenne, il faudrait développer la pratique de plusieurs langues et non celle, seule, de l’anglais. Dominique Wolton ajoute que pour développer cette identité et solidarité européennes, il faudrait également que des personnes autres que les historiens s’intéressent à l’Europe et son histoire. Remonter dans l’histoire de l’Europe permettrait d’admettre qu’on ne se comprend pas. C’est en laissant la place à l’aide, à la traduction, que cette incommunication mènerait à la communication. Les programmes Erasmus vont dans ce sens, favorisant le partage, ouvrant les discussions entre les pays. Ce dialogue, cette collaboration, laissent présager l’avenir de la civilisation européenne : un nouvel Humanisme pour l’Europe ? C’est Antoine Arjakovsky qui émet cette idée, ainsi que le mot de la fin : « Les frontières de l’Europe sont liées à l’espérance humaine. »
Pour approfondir le débat… Rêves d’Europe, Éditions Honoré-Champion Incommunications européennes, revue Hermès n° 77 Histoire de la conscience européenne, Éditions Salvator L’Europe dans les médias en ligne, Éditions L’Harmattan
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  • Communication événementielle : Sylvia Bukowski, Anaëlle Féret, Magali De Jaegere
  • Relations publiques et presse : Eleanor Bakkali, Clara Bantos-Arnaud, Sandrine Rigaudin