En 2006, la bibliothèque nationale de France organisait une exposition sur les brouillons d’écrivains. Aujourd’hui en 2011, celle-ci est   toujours visible grâce à la rubrique « expositions virtuelles » du site internet. Prenons le temps de revenir sur un sujet qui n’a rien perdu de son actualité.

 

Interrogé par Jean-Claude Carrière pour savoir ce qu’il écrivait encore à la main, Umberto Ecco, répond : « Mes notes pour ma secrétaire. Mais pas seulement. Je débute toujours un nouveau livre par des notes écrites. Je fais des croquis, des diagrammes qui ne sont pas faciles à réaliser avec l’ordinateur ». Ainsi, avec les nouvelles technologies, le brouillon d’écrivain ne disparaîtrait pas, il changerait simplement de visage. Mais qu’appelle-t-on brouillon ? Est-il synonyme de manuscrit ? Différentes versions d’un même texte enregistré sur un ordinateur sont-elles considérées comme des brouillons ?

Si nous regardons l’origine du mot, nous tombons sur le mot germanique « brod » qui a donné le nom « brouet » ; le « bouillon » a donc quelque chose à voir avec le « brouillon ». Oui, nous pouvons dire que le brouillon est le témoin d’un bouillonnement de la pensée, mais n’allons pas plus loin du côté de l’étymologie de crainte de nous embrouiller à notre tour ! Il est plus intéressant de constater que le mot est apparu comme tel au XVIe siècle, au moment de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. De fait, le brouillon s’est trouvé rangé du côté du manuscrit : il est ce qui n’est pas encore imprimé, ce qui peut encore changer. Désormais, pourquoi garder un brouillon, si l’œuvre est imprimée ?

Et bien, c’est au XVIIIe siècle, où la conscience d’auteur émerge, que des auteurs comme Rousseau ont le souci de conserver les étapes d’élaboration de leur œuvre ; le brouillon devient synonyme d’archive.  Mais c’est surtout au XIXe siècle que le brouillon fait l’objet de toutes les attentions ; il est à la fois objet d’art et d’études. Vous me direz, toutefois, que chaque auteur entretient un rapport particulier à ses brouillons : Balzac les conserve précieusement pour les donner à ses amis en témoignage de son dur labeur, Stendhal garde ceux qu’il estime inédits, Chateaubriand confesse à propos du manuscrit de son voyage à Jérusalem « je n’ai pas eu le courage de la brûler parce qu’il ressemble trop à ma vie ». Qu’il soit détruit ou non, le brouillon/manuscrit est véritablement sacralisé car c’est lui qui touche au plus près du mystère de la création.

Mais avec l’écriture par ordinateur, plus de ratures et donc plus de littérature _lis tes ratures, selon le jeu de mots de Roland Barthes ? Le brouillon manuscrit aurait-il plus de légitimité que le brouillon électronique ? Qui des deux supports, le papier ou l’ordinateur, nous dévoile le plus les rouages de la création ? La quête du brouillon authentique n’est-elle pas aussi vaine dans les deux cas ? La pensée n’échappe-t-elle pas même à son propre créateur ?

Et l’éditeur dans tout cela ?  Doit-il s’attrister de ne plus débrouiller les brouillons de ses auteurs ?

Pour en savoir plus sur l’histoire du brouillon d’écrivain, découvrez l’exposition virtuelle « brouillons d’écrivains » sur le site de la bnf :

http://expositions.bnf.fr/brouillons/index.htm