Système de financement participatif inventé par les américains et arrivé en France il y a 5 ans, le phénomène du crowdfunding, après avoir touché le disque puis le film, s’intéresse depuis peu au livre. (Ceux qui pensent que le crowdfunding est un nouveau sport à la mode pourront se rendre ici). Après l’invention du web, l’éclosion des blogs et le développement du ebook, le crowdfunding va-t-il être le prochain grand bouleversement de l’industrie du livre ?

 crowfunding-participateVous avez peut-être entendu parler de Kickstarter, principale plateforme de crowdfunding qui nous vient des Etats-Unis et finance tout type de projet artistique. Il existe depuis peu des sites spécialisés dans le financement des livres, à l’image d’Unbound, qui assurent également le rôle d’éditeur, et de PUBSLUSH, qui a enfilé la casquette humanitaire en promettant d’offrir un livre à un enfant pauvre pour chaque livre vendu.

Comme quoi, du communautarisme à l’humanitaire, il n’y a qu’un pas, et nous sommes entre honnêtes et braves gens.

Ce système de financement, attractif aux yeux du grand public, intéressant voire salvateur auprès des artistes, a le vent en poupe, et le phénomène ne fait que commencer. Après la musique et le cinéma, le livre, petit dernier, découvre ce système parallèle qui désacralise les maisons d’édition. Certes, c’était déjà le cas avec l’autoédition, le côté engagé, participatif, humanitaire, cool en moins. Faut-il s’en réjouir ? Ceux que la saturation du marché ne fait pas sourciller hochent déjà la tête, et l’on est tenté de se réjouir avec eux.

Pourtant, on doit se demander s’il est bien raisonnable de faire confiance à Monsieur Tout-le-monde.

S’il est bien raisonnable de lui laisser le pouvoir de décision – disons même de vie ou de mort sur un roman- qui revient traditionnellement à l’éditeur.

Vous êtes perdu ? Revenons sur le processus de financement participatif d’un livre. Sur Unbound, le principe est expliqué en une vidéo ludique de deux minutes, et peut se résumer à cette phrase : « Let our authors tell you directly what they’d like to write, and you can choose what book you’d like to see written ».

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Payer pour un pitch

Ce qui frappe de prime abord, c’est que le livre qui soit disant nous emballe au point de financer sa publication n’est pas encore écrit. Au mieux, il est avancé, au pire, il n’en est qu’à l’état de pitch. D’où un premier constat : le lecteur semble payer davantage pour voir éclore une histoire qu’une écriture, un style ou un talent. Ce qui assurément dérange, mais reste néanmoins familier quand on connaît les pratiques éditoriales qui ont cours.

On imagine cependant une autre dérive, l’influence que les donateurs peuvent exercer sur l’histoire en train de s’écrire. On peut très bien en effet inverser le principe du crowdfunding : quelques centaines d’internautes férus

1 / d’équitation

2 / d’histoires d’amour

se montreraient prêts à payer pour voir leurs goûts réunis en un livre et le feraient savoir sur le site. Ils éliraient alors un auteur parmi les auteurs pressentis, qui s’engagerait à respecter leurs souhaits dans l’écriture du livre. Une fiction de commande. Soit une attaque au dernier îlot de liberté créative que représente le roman, un de ces rares produits à ne pas subir la loi aride de l’offre et de la demande.

Nos auteurs préférés auraient-ils le même plaisir à écrire un ouvrage précommandé plutôt qu’à laisser aller leur imagination ? Aurions-nous le même plaisir à les lire ? Cela revient finalement à l’éternelle question esthétique de la contrainte dans la création, de son rôle moteur ou, au contraire, réducteur. On imagine que les attentes de l’internaute seraient davantage une ligne directrice, une idée de contexte plutôt qu’une trame narrative bien établie, ce qui laisse une large part de liberté à l’auteur.

 

Selon cette analyse, que l’on jugera excessive, réactionnaire ou au contraire, prudente et anticipatrice, le crowdfunding pourrait poser les bases d’un lectorat tout-puissant, exigeant mais aussi créatif et généreux.

 

Elise