Tant qu’il y aura des livres

Laurence Santantonios

 

tant-quil-y-aura-des-livres-couv

Encore un livre sur le livre, dira-t-on. Et pour nous rappeler combien il est en crise, combien nous produisons trop et mal. Sa couverture peu originale et ses gros caractères façon « grand public », laissent présager un contenu répétitif et peu novateur. Oui, mais. Laurence Santantonios aborde le livre sous un angle différent : celui de sa durée. Et la perspective est particulièrement intéressante quand on sait que près de 70000 titres sont publiés chaque année : comment chaque ouvrage peut-il trouver son public et exister dans la durée ?

L’indifférence fait place à la curiosité dès la lecture de l’introduction. Certes, on ne peut contourner les problématiques liées à la concentration et à l’indépendance éditoriale. On ne peut passer sous silence la surproduction et la rotation de plus en plus rapide en librairie qui entraînent des clivages parmi les gens du métier. On peut tout aussi bien s’alarmer sur les mutations numériques qui mettront le papier et les libraires à terre.

Mais chez Laurence Santantonios, ces enjeux sont remis dans la perspective de la durée du livre. Qu’est-ce qui distingue le livre pérenne, qui rencontre des générations de lecteurs, du livre jetable et vite pilonné ? Quels sont les circuits qui permettent au livre d’échapper à l’éphémère, quand la surproduction efface les singularités de chacun ?

Sous une couverture ringarde se cache un texte qui apporte, à sa manière, une vision pertinente du livre et de son économie. Si tout n’est pas nouveau, Laurence Santantonios convainc par son écriture décontractée et impertinente, mais précise grâce à l’appui de données chiffrées.

Trop de livres tue le livre ?

La surproduction, génératrice de textes éphémères, explique des mises en place en librairie de plus en plus courtes. Quand en 2000 Viviane Hamy a décidé de ne pas publier de livres pendant six mois, elle a jeté un froid dans le petit milieu de l’édition. Pourquoi les éditeurs révoltés contre le « livre Kleenex » ne pratiquent-ils pas cette sorte de période jachère comme elle, le temps de reprendre leur souffle ? Les éditeurs, qui accusent les autres de produire trop, assurent toutefois ne pas disposer d’assez de trésorerie pour assumer un temps de carence… Mais c’est aussi la pression du distributeur, qui doit impérativement mettre « quelque chose dans les tuyaux2 » pour que son activité soit rentable et qui n’hésite pas à menacer d’augmenter les taux de remise. Or, selon l’auteure, la « surproduction » est toute relative, car n’est-elle pas préférable à une réduction du nombre de titres, pour lesquels le matraquage marketing serait doublé ?

Dans cette perspective temporelle, Laurence Santantonios parle des bibliothèques, des soldeurs, des bouquinistes, des marchés et des villages du livre… Autant de circuits dont les autres livres parlent peu, et qui ont pourtant un rôle à jouer dans la durée de vie du livre. Elle parle aussi du livre de poche, dont l’objectif – du moins en apparence – est de maintenir le fonds, et des Pléiades, qui ne sont jamais pilonnées depuis presque cent ans. Et l’approche est d’autant plus intéressante qu’elle réunit des interventions de personnalités emblématiques du livre, comme Jérôme Lindon, Christian Bourgois et Christian Thorel, d’autant plus précieux que certains ne sont plus là aujourd’hui pour témoigner ; mais aussi ceux de professionnels inconnus et passionnés du livre comme des bibliothécaires, des vendeurs de livres soldés, des fondateurs de marchés de livres d’occasion…

Une crise du livre ?

“S’il y a trop d’éditeurs, il y a aussi trop de livres, et surtout de livres trop insignifiants et sans valeur, sans originalité, qui se tuent les uns et les autres […] Aujourd’hui, il faut des couvertures illustrées, en scultpo-gravures, en repoussé, tirées en plusieurs couleurs, il faut surtout une image suggestive. Le livre est alors un piège tendu à la naïveté de l’acheteur et caché sous des fleurs3.”

Surtout, Tant qu’il y aura des livres remet les pendules à l’heure. Une crise du livre ? Mais la crise est inhérente au livre ! En 1904, le libraire-éditeur Henri Baillière écrit que la crise du livre « est une maladie chronique qui tient à sa nature même ; il en souffre depuis sa naissance, il en vit et il en vivra, il n’en guérira pas et il n’en mourra pas, il est immortel4. » La « surproduction » d’aujourd’hui n’est-elle pas la même qu’il y a cent ans ? Dans le même sens, les « coups » marketing, astucieux pour certains, agressifs pour d’autres, ne datent pas d’aujourd’hui : Bernard Grasset maîtrisait bien la technique en son temps, et la bestsellarisation existe depuis le début du xxe siècle.

Lisez aussi

La Trahison des éditeurs de Thierry Discepolo, aux éditions Agone

Édition. L’envers du décor de Martine Prosper, aux éditions Lignes

L’Édition sans éditeurs d’André Schiffrin, aux éditions La Fabrique

 

1.  Page 97.

2. Jean-Pierre Ohl, “Le cauchemar de Diderot”, in Olivier Bessard-Banquy (dir.), L’Édition littéraire aujourd’hui, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, coll. “Les cahiers du livre”, 2006, page 199.

3. Henri Baillère, libraire-éditeur en 1860 ; page 136.

4. Page 134.

 

Tant qu’il y aura des livres

Laurence Santantonios

Éditions Bartillat

2005

252 pages

18 €