Le 65e festival de Cannes vient de s’achever, 22 films étaient en lice dont huit étaient des adaptations littéraires : Cosmopolis de David Cronenberg ;  De rouille et d’os de Jacques Audiard ; Killing Them Softly (Cogan – La mort aux trousses) de Andrew Dominik ; Lawless (Des hommes sans loi) de John Hillcoat ; The Paperboy (Paperboy) de Lee Daniels ; On the road (Sur la route) de Walter Salles ; V Tumane (Dans la brume) de Sergei Loznitsa et dans une certaine mesure Vous n’avez encore vu d’Alain Resnais.

Mode, manque d’imagination ou tradition ? Toujours est-il que les réalisateurs prennent un grand risque en adaptant des œuvres littéraires car il faut rester fidèle au texte tout en se l’appropriant. A Cannes, parmi les adaptations de cette année, Walter Salles a pris un peu plus de risques que les autres en portant à l’écran le roman de Jack Kerouac, Sur la route, réputé inadaptable.

Sur la route

C’est l’histoire de Sal Paradise, apprenti écrivain new-yorkais, qui, au lendemain de la mort de son père, rencontre Dean Moriarty, jeune ex-taulard au charme ravageur, marié à la très libre et très séduisante Marylou. Entre Sal et Dean, l’entente est immédiate et fusionnelle. Décidés à ne pas se laisser enfermer dans une vie trop étriquée, les deux amis rompent leurs attaches et prennent la route avec Marylou. Assoiffés de liberté, les trois jeunes gens partent à la rencontre du monde, des autres et d’eux-mêmes.

Walter Salles, Brésilien, a lu le livre de Kerouac à un moment où la presse et l’édition étaient sous censure dans son pays. Il l’a donc lu en anglais et a trouvé dans ce récit initiatique une opposition totale à ce qu’il ressentait alors dans son pays. La publication de Sur la route au Brésil coïncide avec les mouvements pour la redémocratisation du pays, en 1984. De ce fait, le livre avait une telle qualité emblématique pour Walter Salles que l’idée de l’adapter à l’écran ne l’effleurait même pas. C’est après l’invitation de Zoetrope Studios, à la suite de la projection de Carnets de Voyage à Sundance en 2004, que le projet a peu à peu pris corps.

Un projet maudit

Ce projet d’autres s’y sont essayés comme le raconte Roman Coppola. Celui-ci, qui dirige avec sa sœur Sofia la société de production American Zoetrope, a vu bon nombre de personnes ramer : « J’ai eu vent par exemple d’un projet avec Montgomery Clift. De mon point de vue, Hollywood a dès le début été fasciné par l’idée de faire un film. Le livre était très populaire là-bas. Mais il y a un hic. Les films sont le plus souvent construits autour de la trame classique “début-milieu-fin”. Sur la route est bien connu pour être absolument anticonformiste de ce point de vue. La plupart des projets d’adaptation contemporains de Kerouac se sont focalisés là-dessus, et ça n’a jamais été satisfaisant. »

À la fin des années 1970, Francis Ford Coppola aurait proposé à Jean-Luc Godard de le réaliser, sans suite. Plus tard, c’est Gus Van Sant qui est sur les rangs, comme nous le raconte l’écrivain et scénariste Barry Gifford (Sailor & Lula) : « Francis m’a engagé en 1995 pour écrire le scénario d’un film, Sur la route avec comme réalisateur Gus Van Sant. Pour de multiples raisons qui nous furent étrangères, nous ne sommes pas  parvenus à concrétiser le projet. Je suis ravi que Walter Salles soit allé jusqu’au bout. Nous sommes devenus amis parce que nous partageons beaucoup de choses. Il m’a appelé pour que je sois consultant sur son film, ce que j’ai fait avec plaisir. Walter s’est servi de mon livre Jack’s Book comme d’une bible. C’était le premier objet de ce type, un documentaire chronologique par écrit, construit comme un documentaire vidéo, un “bookmovie”, comme disait Kerouac. Il y a évidemment de nombreuses façons d’adapter un roman à l’écran. Ce dont je suis sûr, c’est que celle de Walter lui est propre. »

La fin d’un casse tête

Cet engagement personnel et profond de Salles est l’une des clefs pour comprendre pourquoi cette adaptation put enfin aller à son terme. Il a travaillé pendant cinq ans sur de multiples versions, en essayant de respecter le plus possible le livre et parfois en bifurquant. « Une adaptation, c’est ce qui doit permettre aux spectateurs de revenir au livre, à l’original. Et de construire leurs propres versions de Sur la route. » nous explique le réalisateur.  Le film n’a pas eu la palme d’or mais continuera à coup sûr sa route vers le public.